Les Fils de Canaan, un autre regard sur l’esclavage au Moyen Âge

Publié le 25 novembre 2019
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Alors que le phénomène fait encore figure d’inconnu, Sandrine Victor, maître de conférences à l'INU Champollion, livre, dans un essai remarqué (ici), une courte histoire occidentale de l’esclavage au Moyen Âge. L'historienne était l'invitée du 12e salon du livre de femmes diplômées de l'enseignement supérieur, ce mois de novembre à Paris. Elle livre ici quelques pistes de lecture.

 

Lorsque l’on pense à l’esclavage, vient d’abord à l’esprit la période antique ou la traite transatlantique, mais pas le Moyen Âge...

Curieusement, l’historiographie, c’est-à-dire la production scientifique des historiens, a longtemps mis entre parenthèses l’esclavage durant la période médiévale, qui s’étend tout de même sur 10 siècles. C’est un peu comme si l’esclavage dans sa forme la plus radicale avait disparu avec l’Empire romain pour renaître par enchantement à l’époque moderne. 

Comment expliquer cette dilution ?

On fait face à ce que l’on appelle un effet de source. Au Moyen Âge, l’esclave est considéré comme un bien meuble, un outil dont on ne parle pas, ou peu. Ceci rend difficile le travail des historiens. Ces derniers ont donc parfois conclu à une disparition partielle de l'esclavage. Mais en parallèle, on rencontre aussi dans nos recherches des sources dissonantes. Celles-ci montrent non seulement que les esclaves existaient bien, mais qu’ils étaient nombreux…

D’où cet essai ?

Les Fils de Canaan proposent un point sur l’esclavage au Moyen Âge, en Occident.  L’essai montre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène résiduel. L’esclavage est partout : en ville, à la campagne, dans les terres septentrionales comme sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, plus encore dans les terres d’islam. Entre 650 et le 15e siècle, quatre millions d’individus furent victimes du trafic trans-saharien. Au haut Moyen Age, les esclaves auraient représentés de 10 à 20% des ruraux.

Peut-on alors parler de continuité ?

C’est parce que les sociétés médiévales pratiquaient et acceptaient l’esclavage qu’il n’y a eu aucun problème moral à développer la traite moderne des Noirs. C’est aussi au cours de cette période que le terrain, bien plus tardif, des thèses racistes et évolutionnistes est préparé. Durant le Haut Moyen Âge, les esclaves viennent du nord de l'Europe, de l'Europe centrale et de l'Est. A partir des 12e et 13e siècles, les zones de captation se déplacent vers l'Afrique subsaharienne. L'esclave, c’est d’abord le noir, et le noir est intrinsèquement esclave. Cette vision s'inscrit dans les représentations.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

On ne peut pas tout comparer, au risque d'un anachronisme qui perd tout son sens. Mais cet ouvrage montre aussi la persistance du phénomène sur la très longue durée. L’ONG Liberty Watch avance le chiffre de 40 millions d’esclaves dans le monde en 2015. On pense à l’esclavage sexuel, aux migrants vendus en Libye, au sort des femmes Yézidies, aux ouvriers des chantiers de la prochaine coupe du monde de football. Ou plus proche de nous, à cette femme retenue depuis des années par une grande famille parisienne, privée de ses papiers, sans contrat de travail ni salaire, ni soins, ni logement. Une esclave en France en 2019.